mercredi 17 février 2016

Vers une science de la vie mentale - Leçon inaugurale de Stanislas Dehaene - Collège de France 2006


 
La leçon inaugurale a porté sur les lois de la psychologie et les stratégies de recherche qui pourraient permettre de les établir.

« La psychologie est la science de la vie mentale. » Ainsi William James cernait-il, dès 1890, le domaine de ce qui allait devenir la psychologie cognitive. Celle-ci s'affirme comme une part intégrante des sciences de la vie, qui exploite toutes les méthodes de la biologie, depuis la génétique jusqu'à l'imagerie cérébrale ; mais une science de la vie mentale, qui tente d'énoncer des lois générales de la pensée, un domaine intime et subjectif que l'on aurait pu penser inaccessible à la méthode scientifique.

La diversité des cultures, des personnalités, et des compétences humaines semble rendre hasardeux le projet d'une science psychologique unifiée, capable d'énoncer des lois d'une portée générale. De fait, depuis les vingt dernières années, les laboratoires de psychologie expérimentale se sont spécialisés, chacun s'attachant à comprendre un aspect restreint de la cognition.

Par-delà les hasards de l'histoire évolutive et culturelle de l'espèce humaine, se pourrait-il pourtant que notre vie mentale soit régie par quelques principes généraux d'architecture cérébrale ? Renouant avec l'esprit du programme psychophysique de Fechner, Wundt, Ribot ou Piéron, la psychologie doit se donner un objectif ambitieux : pousser l'analyse des fonctions cognitives supérieures jusqu'à un niveau de formalisation comparable à celui de la physique, par la formulation de théories mathématiques et de modèles neuro-informatiques. Les lois psychologiques, même si elles peuvent être exprimées sous forme d'algorithmes formels, ne seront comprises en profondeur que lorsqu'elles auront été mises en relation avec les différents niveaux d'organisation du système nerveux. L'imagerie cérébrale présente ainsi une opportunité exceptionnelle d'approfondissement du champ de la psychologie. Loin de ne constituer qu'une « néo-phrénologie », elle donne accès à l'architecture fonctionnelle et aux mécanismes des fonctions cognitives, plus directement que la traditionnelle étude du comportement.

Pour illustrer ces propos, la leçon inaugurale a présenté la dissection d'une fonction cognitive, l'arithmétique mentale, qui offre un prétexte à passer en revue quelques questions fondamentales d'architecture de la cognition animale et humaine. On pourrait penser que l'arithmétique n'est qu'une invention culturelle récente de l'humanité. Pourtant, un sens du nombre est présent chez le nourrisson et de nombreuses espèces animales. Il suit des lois psychophysiques simples qui régissent également la plupart des dimensions perceptives. Plus d'un siècle après leur formulation mathématique, ces lois reçoivent une validation directe avec la découverte, chez l'animal, de neurones codant pour les nombres, dans des régions homologues de celles observées dans le cerveau humain.

Les propriétés de ces populations de neurones rendent compte des variations de nos temps de réponse dans des opérations arithmétiques simples. Les règles de la chronométrie mentale peuvent se déduire de la physique statistique de réseaux neuronaux qui implémentent, en première approximation, un algorithme de prise de décision optimale.

Si l'on commence ainsi à comprendre les opérations mentales les plus automatiques, l'un des défis de la psychologie reste d'élucider les mécanismes de leur contrôle conscient. Loin de constituer le dernier refuge de la subjectivité, la cognition consciente suit également des lois psychologiques universelles. La compétition entre deux objets de perception, la collision de deux opérations mentales ou le détournement de l'attention créent des conditions reproductibles où l'on peut, à volonté, faire apparaître ou disparaître la perception consciente. Les recherches actuelles délimitent le contour des opérations subliminales et les contrastent aux états corticaux globaux et synchronisés observés lors de la prise de conscience. Elles laissent ainsi entrevoir une modélisation neuronale objective des contenus subjectifs de la conscience.

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